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Julie Bruyère : Du Lido au Management

Diane Berni 22 mars 2023
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© Stéphane Franceze

Ex-soliste du Moulin Rouge, capitaine des « Sublimes » au Lido de Paris, Julie Bruyère a fondé Oneness Entertainment en 2017 afin de créer des performances sur-mesures pour des grandes marques de luxe.

Qu’est-ce qui t’a amené à intégrer le monde du cabaret ?

La danse était une évidence, depuis toute petite, avec une maman professeure de danse. J’ai fait le conservatoire de Saint-Étienne où j’ai obtenu une médaille d’or. Mon rêve était l’Opéra de Paris mais j’ai vite compris que j’étais trop grande : je mesure 1m80. Finalement, je suis partie dans le mannequinat pendant sept ans ; j’ai beaucoup voyagé. A 24 ans, ayant fait le tour du mannequinat, j’ai souhaité revenir à quelque chose de plus créatif. Une connaissance m’a parlé du Moulin Rouge ; c’était un danseur que j’avais rencontré qui était soliste là-bas. Je suis arrivée par hasard, je suis en fait tombée sous le charme. J’ai découvert un autre monde : ce sont des très grosses productions avec soixante artistes en scène, deux spectacles par soir, ouvert 7 jours sur 7, et je ne sais plus combien de milliers de costumes ; c’est une énorme machine.

Finalement, avec ma taille je corresponds aussi à cet univers et il faut aller là où on correspond. Le French cancan, ce par quoi j’ai commencé, est entre la danse et la gym, c’est aussi de la rapidité, avec des costumes plus ou moins lourds, ce sont d’autres contraintes qui appuient sur le corps.

Au total, j’ai fait trois ans au Moulin et douze ans au Lido, en tant que soliste et capitaine.

Comment se sont déroulées les auditions au Lido ?

En tant que capitaine sur la revue Paris Merveilles, créée par Franco Dragone, je faisais passer les auditions avec la maîtresse de ballet. Le Lido est réputé pour avoir les plus grandes danseuses mais tout le monde n’a pas ce qui est important. Il faut une très bonne base classique. Le classique donne une structure physique, une endurance et une tenue ; ces cabarets recherchent l’élégance et elle provient souvent du classique. Après c’est vraiment une histoire de proportions.

Les auditions terminent par la toise : on mesure la taille pour vérifier si on est bien dans les critères. Il y a quand même des règles anatomiques et physiques. Après, évidemment, ces maisons aiment aussi les personnalités, des artistes qui savent donner sur scène.

Archives J.B.

Est-ce difficile de refaire le même spectacle tous les soirs ?

L’avantage d’être capitaine est que je jouais divers rôles au sein des solistes, donc mon show était différent tous les soirs et ça permet de tenir sur la longueur. Au-delà, le challenge c’est d’essayer de trouver une nouvelle énergie, de nouveaux accents, de nouvelles choses, artistiquement, qui font que sur scène tu ne t’ennuies pas. Car c’est toute la difficulté d’avoir ce rythme, six jours sur sept.

C’est la raison pour laquelle j’ai développé des activités en parallèle, car j’avais besoin de continuer à me nourrir différemment ; ça m’a apporté du bon sur scène, chaque soir, parce que justement j’étais satisfaite, je faisais des belles journées. Je gérais déjà de l’événementiel et des projets, en étant également sur scène. En fait, j’ai eu deux casquettes pendant des années, en menant une double vie. Le jour, je crée, je travaille pour de très beaux événements et vraiment ça me fait un bien fou. Le soir, j’arrive nourrie avec des nouvelles idées, avec parfois un nouveau regard et une nouvelle énergie qui permettent de ne pas être frustrée. Car ce qui arrive dans les compagnies, c’est que, souvent, on n’a pas la place que l’on souhaite. Ce que j’ai vu pendant quinze ans autour de moi, c’est beaucoup de remises en question, de déceptions et de concurrence. C’est à nous de faire nos projets à côté et de venir le soir s’éclater, de le prendre vraiment dans la meilleure optique. Après, nous sommes en CDI, donc il n’y pas la précarité de l’emploi.

Comment et quand es-tu passée capitaine ?

Sur les 12 ans au Lido, on a fait une nouvelle revue en 2015, où ils ont ré-auditionné toute la compagnie. Le spectacle a été créé par Franco Dragone, j’ai été nommée soliste pendant la création. Ce qui a été génial dans cette création, c’est qu’ils ont diversifié avec un éventail de disciplines qui a été très plaisant pour moi. J’ai été nommé capitaine de la ligne des Sublimes (ndlr : qui est la plus belle place). On était cinq solistes ; en dessous on avait une ligne qu’on appelle les Belles, qui sont les danseuses topless et, en dessous, il y avait les Bluebells qui avaient une technique dingue, elles étaient superbes. J’ai été nommée capitaine de cette ligne de Sublimes, qui était un peu le graal aussi pour toutes les  danseuses. Puis, Sublime Soliste sur cette revue.

Etre dans les Sublimes et le capitanat m’a bien occupé. On faisait passer les auditions, on était dans le management, on gérait tous les plannings de tous les soirs ; comme c’était ouvert 7 jours sur 7, c’était un véritable Rubik’s Cube, ça changeait tous les soirs. Et il y avait évidemment à gérer, donc j’enseignais les chorégraphies, je corrigeais car j’étais à la fois sur scène et derrière, on est un peu sur tous les fronts en étant capitaine. On voit cette hiérarchie bien présente et lorsqu’on est capitaine, on se retrouve véritablement dans le management.

© Diane Roberston

Que penses-tu du management d’artistes dans ces maisons ?

Je pense que le management (maîtres et maîtresses de ballet) chez nous est un rôle extrêmement difficile, car quand il y a un problème, on ne va pas convoquer la personne, se poser, discuter, prendre le temps d’essayer de dénouer les problèmes. Là, on doit tout faire entre deux portes, parce que les gens viennent une heure avant le spectacle. Ils doivent se préparer, prendre la distribution. Ensuite, on lance le spectacle et là c’est un chrono. Il n’y a pas de “attendez, ne bougez pas, on arrête tout, on doit régler un problème et une urgence, donc on va prendre le temps de discuter”. Ça n’est jamais le cas, ça n’arrive pas et surtout pas le soir. On est quatre capitaines qui ont également des bras droits, il faut briefer tout le monde en même temps.

Ce qui m’a frustrée beaucoup dans ce système, et sur quoi j’ai mis le doigt lors de ma formation de Management à l’INSEAD en 2020, c’est qu’il s’agit de la gestion de personnes et surtout d’artistes, donc il faut être très à l’écoute, faire attention aux sensibilités … il y a beaucoup d’égo dans ce milieu … donc il faut gérer tout ça, sans en avoir vraiment le temps, il faut essayer de trouver les bons mots dans l’urgence, entre deux escaliers, avant d’entrer sur scène. Il est très compliqué de faire de la gestion en Live. Il faudrait prendre le temps de se poser, pour qu’il y ait une remontée d’informations des capitaines qui soit véritablement prise en compte. C’est ce qui a peut-être manqué. Il faut trouver un équilibre qui n’est pas évident.

Quel est ton travail aujourd’hui ? Tes missions, les difficultés que tu rencontres ?

Je gère toute seule mon agence d’événementiel ; sur place, je suis aidée par le staff  à l’instant T, mais je dois avouer que ce n’est parfois pas évident, car je suis sur tous les fronts et cela demande beaucoup de travail de pouvoir gérer mon temps et mon énergie comme il faut. Je suis en train de réfléchir à la prochaine étape, pour m’entourer des bonnes personnes.

Je travaille pour des belles maisons. Cette semaine, j’ai contribué au défilé d’Isabel Marant, où j’avais quatre-vingts artistes choristes pour créer une ambiance autour d’une chanteuse Live. C’était très fun et vraiment très sympa. On me demande vraiment différents types de choses. La semaine prochaine je travaille pour Ruinart qui fait un très bel événement au Carreau du Temple, avec une artiste d’art contemporain. Je chorégraphie, je mets en scène, je travaille en collaboration avec l’artiste musical qui va intervenir. En fin d’année dernière, j’étais sur Chanel et l’exposition sur les parfums au Grand Palais ; j’ai fait toute la mise en scène, j’avais quatre-vingt dix artistes : des comédiens, des danseurs, des magiciens, des musiciens partout, dans toutes les salles, c’était un projet pharaonique, vraiment passionnant. J’ai plein d’autres projets qui arrivent, ça se passe très bien. Et puis surtout, les marques ont envie de relancer de beaux événements présentiels depuis un an et demi, suite au COVID où ils étaient tous en digital.

Propos recueillis par Diane Berni


Retrouvez le travail de Julie Bruyère sur ses pages Facebook et Instagram

http://www.oneness-entertainment.com/

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